Laure Albin Guillot, de son vrai nom Laure Meifreydi, est née en 1879 à Paris. Issue d’une famille bourgeoise du 16e arrondissement, elle reçoit une éducation artistique et musicale. Pianiste remarquable, elle se destine très tôt à une carrière de concertiste. Mais cette ambition ne se concrétise pas et c’est par l’entremise d’Albin Guillot avec qui elle se marie à 18 ans, par procuration pour ainsi dire, qu’elle se rapproche du cercle des musiciens : le jeune étudiant en médecine qu’elle vient d’épouser et qui devient par la suite expert auprès des hôpitaux, professeur en école d’infirmières, chercheur puis industriel sera en effet essentiellement connu pour ses talents d’organiste et de compositeur.
La vie de couple fusionnelle et sans enfant d’Albin et Laure Guillot explique en partie le parcours atypique de la photographe. Celle-ci vit en effet longtemps dans l’ombre de son époux avant de publier ses premières photographies (des illustrations destinées aux revues de mode) en 1922. Ce n’est qu’à 43 ans, au moment où l’état de santé de son mari commence à se dégrader, qu’elle embrasse alors sa nouvelle carrière. Cette entrée tardive dans la photographie professionnelle permet de comprendre la fulgurance de son parcours, sa soudaine effervescence et, bientôt, son "hyperactivité photographique".

La photographie de Laure Albin Guillot est à considérer d’emblée comme une pratique totale. Bénéficiant d’un entregent incomparable (on parlerait aujourd’hui d’un exceptionnel art du réseau), son activité déploie un éventail extraordinairement large d’expérimentations visuelles, autant de propositions visant à nourrir un indispensable carnet de commandes.

Personnalité hors norme, elle est l’une des rares en France à se saisir de la photographie d’un point de vue théorique et patrimonial. Consciente de la nouvelle donne médiatique façonnée après la Première Guerre mondiale par le cinéma, la radio et la presse illustrée, elle rédige et publie en 1933 Photographie publicitaire, une brochure décryptant les enjeux de l’image moderne, détaillant les différentes manières de concevoir la photographie mais aussi de la percevoir. Au moment de cette parution, Laure Albin Guillot est par ailleurs une figure institutionnelle puisqu’elle est à la fois directrice des archives photographiques des Beaux-Arts (l’équivalent de notre ministère de la Culture actuel) et directrice de la Cinémathèque Nationale (projet concurrent de la future Cinémathèque française) cumulant ainsi les fonctions d’Etat et ses activités de photographe indépendante. Son expérience et une vision large du paysage audiovisuel lui permet même d’envisager, en 1934, la création d’un musée visant à conserver, diffuser et combiner les créations photographiques, radiophoniques et cinématographiques. Si le projet n’aboutit pas, Laure Albin Guillot imagine avant l’heure le centre d’art multimédia.

Elle occupe ce premier rang des personnalités considérées, actives et influentes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle illustre jusqu’à la fin de sa carrière, en 1954, différents ouvrages de commande et publie plusieurs livres d’artistes en collaboration avec des auteurs comme Paul Valéry, Marcelle Meurette ou Henry de Montherlant. Elle continue à élaborer une œuvre personnelle mais, peu à peu, celle-ci apparaît démodée : ses cadrages autrefois audacieux font place à une imagerie figurative moins inventive et loin des nouvelles attentes ou des nouveaux goûts de l’époque.

Laure Albin Guillot, rappelons-le, n’est qu’une photographe. Elle est admise à la Maison de Nogent, parmi les peintres, les graveurs et les sculpteurs au bénéfice d’une faveur tout à fait exceptionnelle. L’énergie qu’elle a déployée pendant toutes ses années d’activité visait aussi à contrebalancer la déconsidération voire le certain mépris du métier qu’elle exerçait : reléguée au rang d’une technique de reproduction, la photographie a longtemps été jugée comme une illustration mécanique, une image sans personnalité et surtout sans auteur. Il faut en effet attendre les années 1970, soit dix années après la disparition de Laure Albin Guillot, pour que débute la progressive admission de la photographie à la catégorie des beaux-arts. C’est l’apparition puis le développement de festivals (celui d’Arles en premier lieu), de revues, de galeries et d’espaces d’expositions propres à la photographie qui rendent célèbres à la toute fin de leurs carrières des auteurs comme Robert Doisneau, Henri Cartier Bresson, Florence Henri ou Dora Maar. C’est en bousculant les codes et les usages, comme l’a envisagé à son époque Laure Albin Guillot, que la photographie devient ce qu’elle est aujourd’hui, un domaine de créations plastiques à part entière. La présente exposition est une nouvelle reconnaissance du talent et du rôle de celle qui fut appelée en son temps "la grande dame de la photographie". La boucle enfin est bouclée.
Michaël Houlette
Directeur de la Maison de la Photographie Robert Doisneau et du Lavoir Numérique